ÉDITO 2023/2024

POZZO : … ne disons donc pas de mal de notre époque,
elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes. <Silence.>
N’en disons pas de bien non plus <Silence.>
N’en parlons pas <Silence.>

En Attendant Godot - Samuel Beckett

Pour avoir critiqué dans une tribune syndicale la politique culturelle et les méthodes de Laurent Wauquiez, Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Joris Mathieu le directeur du Théâtre Nouvelle Génération de Lyon s’est vu retirer l’entièreté de la subvention attribuée à sa structure par l’instance régionale.

Quasiment dans le même temps, la Ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, se déclarait « estomaquée » par le propos « injuste et ingrat » tenu par Justine Triet concernant la réforme des retraites et la politique culturelle du gouvernement à l’occasion de la réception de sa Palme d’or au festival de Cannes.

Sans être strictement comparables, ces deux évènements peuvent être perçus, chacun à leur façon, comme l’expression d’un rappel à l’ordre donnant peu ou prou à entendre qu’un artiste subventionné serait tenu à une forme de réserve dans l’expression de ses critiques à l’égard des instances qui le subventionnent.

Pour éviter tout malentendu — et notamment celui qui donnerait à penser qu’un subventionnement équivaudrait pour l’artiste à échanger sa pleine liberté de parole contre les moyens financiers qui lui permettent d’exercer son métier — il semble important de rappeler aujourd’hui quelques éléments du consensus à partir duquel s’organise historiquement le financement public.

  1. Commençons par redire que ce ne sont ni les décideurs politiques, ni les instances publiques qui financent la culture ou toute autre activité considérée comme relevant de l’intérêt collectif, mais l’argent public qui comme chacun sait n’est propriété de personne, sinon de tou·te·s.

  2. Les décideurs politiques ont la responsabilité d’orienter la dépense publique en fonction de l’intérêt collectif et indépendamment de leur préférence ou sensibilité politique.

  3. En démocratie, l’autorité n’a pas seulement vocation à autoriser les oppositions, elle a aussi le devoir de veiller à ce qu’elles aient les moyens d’exister et de se faire entendre.

  4. La liberté de parole est un des fondements de la démocratie et tout ce qui concourt à l’empêcher ou à la limiter au-delà de son cadre légal est une atteinte à la démocratie.

Les élus et les représentants des instances publiques sont les premiers garants de la mise en œuvre des règles d’attribution des financements publics et leur aptitude à veiller à une juste et impartiale application des règles et de l’esprit de ces attributions leur confère — quand il y a lieu — légitimité et considération. Mais les artistes — pour ceux qui croient encore à la nécessité de se faire entendre au risque de déplaire — ne sont-ils pas eux aussi tout simplement dans leur rôle en osant questionner publiquement les choix des politiques ? La réponse à cette question dépend probablement du sens que l’on donne au mot démocratie.

Régis HEBETTE